Après avoir découvert « Marmaille » au cinéma, une chose était évidente : il fallait interviewer Brillana Domitile Clain. L’interprète d’Audrey s’est confiée à Réunionnaises Le Mag sur cette première expérience d’actrice, son amour pour l’île de la Réunion, et ses projets à venir.

Le film de Grégory Lucilly marque un tournant. C’est le premier long-métrage péi – réalisé par un Réunionnais, entièrement interprété en créole – à être diffusé dans l’Hexagone. On a rencontré Brillana Domitile Clain, l’étoile montante de « Marmaille ». Cette kafrine do fé à l’esprit vif et ouvert nous a parlé avec sincérité de ce qui anime son cœur de jeune femme.

Journaliste :

Bonjour Brillana, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Brillana :

Je m’appelle Brillana Domitile Clain, j’ai 19 ans et je viens du sud de l’île. En ce moment, je suis en fac de droit, mais la majorité de ma vie tourne autour du basketball ! Je suis basketteuse depuis l’âge de 13 ans, championne de La Réunion et de l’Océan Indien avec l’équipe féminine du Tampon.

Journaliste :

Félicitations ! Depuis peu, tu as une nouvelle corde à ton arc : tu interprètes Audrey, le personnage féminin principal du premier long-métrage de Grégory Lucilly, « Marmaille ». Tu es donc officiellement une actrice amatrice !
Tu avais déjà pensé à faire ce métier ?

Brillana :

Le métier d’actrice, c’est un rêve pour tout le monde, mais je n’y avais jamais vraiment pensé. J’avais d’autres priorités. Ma professeure de français est la mère de Maxime (Maxime Calicharanne, acteur principal du film, qui interprète son frère Thomas, NLDR). Je ne le connaissais pas avant de tourner le film, mais c’est elle qui m’a poussée à faire le casting. Elle m’a appelé un jour, j’étais à l’entraînement, avec mon ballon entre les mains, et elle m’a parlé de ce rôle qui m’irait très bien.

 Journaliste :

Comment se sont passés les castings justement ?

Brillana :

Je ne vais pas dire que j’y suis allée à contrecœur… mais disons que je n’étais pas très emballée ! C’était un casting sauvage avec Christel Baras (la directrice de casting, NDLR). Ils ont tout de suite voulu tester mon tempérament sur une scène avec Rudy (Malick Fruteau de Laclos, qui joue son petit ami et le père de sa fille dans le film, NDLR). Je devais juste dire une phrase : « J’ai le droit aux crèches », mais avec un ton sec et tranchant. On a fait ça pendant plus d’une heure, ça m’a traumatisée !

Journaliste :

Et après ?

Brillana :

Après, j’ai un peu oublié cette histoire. Greg (le réalisateur Grégory Lucilly, NDLR) m’a appelé deux semaines après et m’a annoncé que j’avais le rôle. Sur le coup, je me suis dit : « mais de quel rôle il parle ? ». Quand il m’a précisé que j’avais le rôle d’Audrey dans Marmaille, là j’ai pensé : « Wow ». Maintenant que le film est sorti, et comme je suis très croyante, j’ai envie de dire : « Merci là-haut de m’avoir mis ça entre les mains ». J’ai découvert un monde, celui du cinéma et des intermittents du spectacle, qui me correspond totalement.

Journaliste :

À force d’échanges, et après avoir vu le film, on constate qu’Audrey et toi avec un sacré caractère en commun.
Tu es d’accord ?

Brillana :

Oh oui ! On a énormément de similitudes ! Ce caractère dont tu parles, c’est un truc de kafrine de la Réunion. Ici on dit « Tantine i baiss pa la ké », ça veut dire qu’on ne baisse pas la tête devant un homme. Ça, c’est dans les gènes, toutes les Réunionnaises sont comme ça ! Et puis il y a aussi le lien fraternel qu’Audrey partage avec Thomas dans le film. J’ai le même avec mes sœurs. Depuis toutes petites, on a un lien très très fort que je n’arrive même pas à définir avec des mots. Avec Maxime, on a pu recréer ce lien en dehors du plateau. C’était facile de jouer cette relation ; on était connecté comme si on avait le même sang.

Journaliste :

J’aimerais qu’on en revienne à l’intrigue du film justement.  Dans Marmaille, ton personnage se met en couple avec un garçon qui va se révéler brutal. Malgré la violence, elle va lui tenir tête. Cette partie du scénario fait écho à une triste réalité : quand on parle de violences conjugales en France, La Réunion apparait parmi les territoires qui affichent le plus fort taux de victimes enregistrées. As-tu le sentiment que ta génération est plus sensibilisée à ces sujets ? Penses-tu que les choses peuvent changer ?

Brillana :

Merci pour cette question ! Je veux absolument qu’on me la pose depuis le début de la promo et aucun journaliste ne l’avait encore fait alors que, pour moi, c’est la plus importante ! C’était un vrai défi émotionnel de jouer ces scènes de violences conjugales. C’est complexe parce que j’incarne toutes les femmes qui vivent ces situations atroces… Mais je crois qu’avec ma génération, il y a une réelle prise de conscience par rapport aux violences conjugales. Grâce aux campagnes de sensibilisation et aux nombreux espaces de dialogue qui se sont ouverts sur les réseaux sociaux et dans les médias, les choses changent. Elles sont minimes, ça prend du temps, mais c’est important de continuer à éduquer nos jeunes !

Journaliste :

Grégory Lucilly, le réalisateur, avait envie de dresser un tableau sincère et brut de la Réunion. La réalité de La Réunion, c’est aussi 36 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté. C’est le troisième département le plus pauvre de France. Elle est comment la Réunion de Brillana Domitile Clain ?

Brillana :

Pour moi La Réunion, c’est le paradis, et pas uniquement grâce aux paysages. Ici, le vivre ensemble est quelque chose de fondateur, c’est ça que les gens recherchent. J’ai l’impression que les inégalités sont moins marquées ici qu’en France hexagonale. En tant que réunionnaise, je porte cette tolérance en moi et j’en suis fière ! La convivialité, l’amour, l’empathie… tout ça, c’est la Réunion ! Et même si c’est vrai, il y a beaucoup de misère, on la voit à tous les coins de rue, mais les gens sont heureux. Ceux qui habitent dans des petites cases en tôle coincées entre deux immeubles vivent dans le temps d’avant. La Réunion, c’est ça aussi : la simplicité et l’authenticité.

Journaliste :

Pas de doute, tu l’aimes cette île !

Brillana :

Vraiment, je te dis ça avec mon cœur pur de gamine : je suis tellement fière de mon île et tellement admirative de tout ce qu’elle nous offre. Grâce au film Marmaille, cette réalité a sauté la mer et se retrouve dans les salles de cinéma en France hexagonale, c’est génial ! J’espère que la misère sociale va frapper les gens. Peut-être que ça pourra faire bouger les choses pour certaines familles ici, peut-être que ça va éveiller les consciences… Je trouve que Greg a réussi à lever le voile sur cette misère de la Réunion qu’on ne connait pas à moins d’y vivre, sans oublier de montrer la beauté des paysages. Il y a la mer, les montagnes et la verdure… C’est parfait.

Journaliste :

Marmaille est le premier film fait à la Réunion, en créole, à être diffusé en Métropole, c’est une visibilité incroyable ! Ça te fait quoi de te dire que partout dans le pays, des gens découvrent ce visage de la Réunion – et ton visage par la même occasion – sur grand écran ?

Brillana :

Tu sais, je ne pense pas à moi, ni à mon visage, je pense au travail de Greg. Il mérite tellement que ce film marche, il mérite que tout le monde le voit. C’est une belle personne et dans ce milieu-là, je pense qu’on n’en trouve pas deux comme lui. En fait, je n’avais pas pensé à la possibilité qu’on me voit partout… Ça me fait un peu paniquer d’y penser et à la fois, je suis très contente de représenter mon île. Je me rends compte de la chance que j’ai eu de participer à la gloire de l’île de la Réunion. Mon visage apparaît dans un des premiers long-métrages à sauter la mer pour rejoindre la France hexagonale, ça n’est pas rien ! On a tous des étoiles dans les yeux.

Journaliste :

Tu as déjà eu des retours des spectateurs ?

Brillana :

Le public réagit super bien, on a de bonnes remontées donc ça me rassure. On reçoit des messages de spectateurs de Métropole et quand ils nous disent d’où ils sont, où ils ont vu le film, on se dit :  « ah ouais, on a été jusqu’à là-bas quand même ». C’est génial !

Journaliste :

Qu’est ce que ce film t’a apporté ?

Brillana :

Ce film m’a fait prendre conscience de ce que je voulais faire et de ce que je ne voulais pas. C’est fou, je me suis lancée du jour au lendemain dans un univers que je ne pensais jamais intégrer et ça m’a ouvert l’esprit sur une autre porte possible pour mon futur.

Journaliste :

Justement, comment se profile l’avenir ? Quels sont tes projets ?

Brillana :

Pour être honnête, je suis en pleine remise en question. Est-ce que je me bats pour être actrice ou est-ce que je me bats pour continuer le basket et évoluer ? J’ai vécu tellement de chose grâce à ça. Le basket m’a mené jusqu’aux États-Unis, tu imagines ! Quand je dis que ce sport prend une énorme place dans ma vie je n’exagère pas. D’ailleurs jusqu’ici j’étais persuadée de vouloir en faire mon métier.

Faire ce film m’a permis d’avoir une vraie prise de conscience : au fur et à mesure de la vie, des portes s’ouvrent et notre vision des choses évolue. Aujourd’hui, je garde l’esprit aussi ouvert que les portes qui s’ouvrent à moi. J’ai eu cette immense chance de jouer dans « Marmaille » et si ça doit s’arrêter là, ça s’arrêtera, c’était un moment béni. En fait, je ne sais pas si je retrouverais l’ambiance de ce film ailleurs, et en même temps, j’ai envie d’en découvrir plus sur cet univers. Pourquoi pas tester une nouvelle identité au travers d’un autre personnage, jouer quelque chose de plus compliqué ou de plus doux ?

Je suis sur les réseaux sociaux et depuis le tournage, je prends doucement mon envol, ça se passe très très bien. J’aime beaucoup ça aussi, donc ça rentre également en jeu. Et puis je reste à la fac pour ne pas décrocher, même si pour être honnête, je ne me vois pas faire du droit toute ma vie. Avec tout ce qui m’est arrivé dernièrement, la question de mon avenir est complexe, mais tu sais quoi ? Toutes ces portes ouvertes, je trouve ça magique.

Vous avez encore une chance de voir le film sur grand écran au Multiplexe Ciné Cambaie Saint-Paul, au Ciné Grand Sud Saint-Pierre et dans plusieurs cinémas de France hexagonale.