10 243 km. La distance exacte entre Sainte Marie de la Réunion et São Paulo au Brésil. Respectivement, la ville où j’habite aujourd’hui et l’endroit où je suis née. Ensuite, la question que l’on me pose le plus souvent : « Comment tu as fini par arriver ici ? ». J’ai envie de dire « Té…mi koné pa ». Ce serait sans doute la réponse la plus sincère à donner. Mais j’essaierai quand même d’en trouver une aujourd’hui.
Deux prénoms, deux quiproquos
Je m’appelle Lilian. Oui, j’ai un prénom de mec. Il se trouve qu’au Brésil, c’est bien un prénom de fille. On m’a déjà traité de « monsieur » dans des procédures bureaucratiques et j’ai déjà eu un match sur Tinder avec un homme qui s’appelait Lilian aussi. Mais je prononce « Liliane » ou tout simplement, « Lili ».
J’ai un deuxième prénom qui va bien avec ma tête, Akemi. Oui, j’ai des origines asiatiques. À la Réunion, je suis confondue avec un « ti tantine sinwa ». Quand je suis bronzée, je peux passer pour une Thaïlandaise ou une Philippine. Mais mes ancêtres viennent du Japon. Saviez-vous que la plus grande diaspora japonaise se retrouve au Brésil ? Je vous jure, tapez sur Google.
Non, je ne parle pas la langue de Mishima. Dès le berceau, je pleurais en bon portugais et plus tard j’ai fini par me mettre au français. C’est finalement avec la langue de Molière que tout a commencé.
Entre l’Atlantique et l’océan Indien
Pour faire court, je suis arrivée à Paris en 2012 en tant qu’étudiante de Lettres. J’étais censée y rester six mois, mais j’ai fini par habiter dans la capitale pendant six ans (et demi). J’ai entretemps bifurqué vers la musique et les études professionnelles dans ce domaine.
Entre 2013 et 2018, j’ai côtoyé des Réunionnais. Collègues de classe, de musique et de vie, on s’est vite très bien entendus. En vrai, c’est assez facile de tomber amoureuse de la Réunion. Surtout quand on écoute Alain Peters, quand on joue du maloya et quand on mange un bon rougail saucisses fait maison.
En 2018, je viens enfin découvrir l’endroit d’où j’avais tellement entendu parler. Drôlement, j’avais l’impression d’avoir déjà été ici. Dans mon excitation, je force mon regard vers des signes qui me disent : il faut que je revienne dans l’île, mais pour y vivre. Six mois plus tard, je débarquais à la Réunion avec mon copain et nos valises à poser.
Du riz et des grains
Cet amour inévitable pour « l’Île intense » a une explication possible : les similitudes entre le Brésil et la Réunion sont souvent surprenantes. En commençant par la nourriture, vu la gourmande que je suis.
En portugais, on dit beringela pour dire brinzel et chuchu pour le chouchou. On dit aussi pé (pied) pour parler des arbres fruitiers, comme le pied papaye ou le pied mangue. En plus, j’ai grandi en mangeant du riz et des grains tous les jours, comme beaucoup de Réunionnais. Ça me manquait tellement en métropole !
À Minas Gerais, un état brésilien, on dit également trem (train) pour se référer à n’importe quelle chose. Ensuite, il y a les équivalences : la samba et le maloya, musiques de résistance venant des esclaves. Le maronaz et le quilombo, deux mouvements similaires. Enfin, le bob et le berimbau, des instruments pratiquement identiques. Être ici, c’est un peu comme être chez moi parfois.
Les Réunionnais
Je dois avouer que le Piton de la Fournaise est magique, que Mafate est inoubliable, que le Lagon avec ses poissons multicolores me fait rêver. Mais pour moi, aucune de ces merveilles ne compose pas de raisons suffisantes pour vivre ici. Ce que j’aime, ce sont les gens. Les histoires, les rencontres, les liens. Et pour ça, la Réunion est riche, abondante et chaleureuse.
Si j’ai eu le courage de venir, c’est parce que Yoanna, une zoréole, m’avait dit que c’était possible. C’est parce que Romain, un malbar de Saint André, m’avait accompagnée dans des promenades perdues à Paris pendant des années. C’est parce que Mahesh, un autre malbar, mais cette fois-ci de la Saline les Hauts, avait partagé sa musique et ses projets avec moi. C’est parce que Sully, un kaf de la Montagne, est quelqu’un avec qui je peux parler d’absolument tout. C’est la nature humaine ce qui m’intéresse le plus dans mon itinéraire.
La vie, tout simplement
Rien n’est fini ou défini pour moi. Je me retrouve encore et toujours dans ce mouvement cadencé et imprévisible de ma vie. En 2021, je passe de pacsée à célibataire, de professeur de musique à rédactrice web. Mes cheveux sont maintenant blonds (et un peu blancs aussi) et j’ai un fils (un félin, mais ça reste mon fils !).
Le Brésil me manque ? Énormément. Je reste combien de temps à la Réunion ? Je ne sais pas encore. Une prochaine destination ? Le Japon ou la Finlande. Après toutes ces années à l’étranger, je comprends que changer d’hémisphère ou de continent ne m’évite pas de regarder la vie en face. Je deviens celle que je dois devenir n’importe où.
Pour l’instant, je profite de la chance d’être sur ce petit caillou précieux. Parfois, je chante un petit séga qui dit : « Ce matin mi réveille au milieu de l’océan indien… ». Je souris, parce que c’est vrai, je suis vraiment ici, maintenant. Mersi bonpé la Rényon !
Un article signé Lilian Akemi pour notre section Rédactrice Invitée
Découvrez notre précédent billet d’humeur : Et si on secouait nos vies ?
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