Madame Desbassayns a marqué l’Histoire de La Réunion. Fortune historique de l’île, elle est reconnue par certains comme une bienfaitrice, par d’autres comme une tortionnaire… Retour sur le passé controversé d’une femme de son temps.
Elle est née le 3 juillet 1755 à Saint-Paul. On la connaît sous le nom de Madame Desbassayns, mais à sa naissance, elle s’appelle Marie-Anne Thérèse Ombline Gonneau-Montbrun. Sa mère meurt en lui donnant la vie et son père, Julien Gonneau, est un riche cultivateur des Hauts de Saint-Paul. D’après les Archives départementales de la Réunion, la petite fille est élevée par sa tante maternelle Jeanne Raux et son époux, le gendarme Jean-Baptiste Hoareau.
Un mariage entre « Gros-Blancs »
On ne sait pas grand-chose de l’enfance de Marie-Anne Thérèse Ombline Gonneau-Montbrun, seulement qu’en 1770, le 28 mai précisément, elle épouse Henri Paulin Panon Desbassayns. Elle a alors quatorze ans, lui trente-huit ans. Naît à Saint-Paul en 1732, Henri Paulin est un militaire. Il a fait une longue et brillante carrière. D’ailleurs, on peut d’ailleurs contempler sa croix de l’Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis au Musée historique de Villèle, dans les hauts de Saint-Paul. En épousant la plus riche héritière de l’île, l’homme est devenu – en plus du plus grand propriétaire foncier de l’île – le plus gros possesseur d’esclaves. De ce mariage entre « Gros-Blancs » (les Gros-Blancs désignent ici les bourgeois blancs descendants des colons) naîtront treize enfants. Quatre mourront avant d’avoir atteint l’âge adulte.
Les chiffres du patrimoine des Desbassayns sont impressionnants. En 1789, la famille est propriétaire de 420 hectares répartis entre Saint-Gilles, la Saline, les Trois-Bassins et la région du Bernica. Sur leurs plantations, ils cultivent majoritairement du maïs, du coton et du café, dont l’exportation fait leur richesse. Ils ont quatre maisons : une aux Trois-Bassins, une à Bois-de-Nèfle, une à Saint-Paul et une à Saint-Gilles-les-Hauts, l’actuel musée de Villèle.
Un héritage construit par des esclaves
Bien sûr, pour faire fonctionner cette entreprise impressionnante, il faut de la main d’œuvre… À l’époque, main d’œuvre rime encore avec esclavagisme. Imaginez : à la fin du XVIIIe siècle, le couple est propriétaire de 417 esclaves. Cette tradition, elle est commune aux Gros Blancs de l’époque sur l’île qui, toujours, se marient entre eux. Madame Desbassayns par exemple, maria sa fille Mélanie à Joseph de Villèle, lui aussi producteur de coton et esclavagiste. On a d’ailleurs donné son nom au musée réunionnais de l’habitation et de l’esclavage, créé en 1974.
Quand Henri Paulin Panon Desbassayns décède en octobre 1800, sa femme devient seule propriétaire des demeures, des plantations, de la fortune… et des esclaves. Avec une main de fer, elle gérera seule le domaine pendant 40 ans, jusqu’à sa mort en 1846.
Entre mythe et (triste) réalité
Lorsqu’on parcourt les archives, on réalise que la fameuse Madame Desbassayns est longtemps apparue comme une femme adorée. Mère et grand-mère aimante, femme
d’affaires impitoyables, maîtresse juste pour ses esclaves et bonne chrétienne… Un lieutenant du nom de Théophile Frappaz, qui séjourna quelque temps auprès d’elle dans la première moitié du XIXe siècle, a même écrit à son sujet : « Je n’oublierai jamais l’expression de satisfaction et d’amour qui animait la physionomie de ses nombreux esclaves lorsqu’on leur parlait de leur bonne maîtresse qu’ils appelaient leur mère ». Le mythe de l’esclavagiste humaniste ? Difficile à concevoir de nos jours, au regard de l’Histoire… Et pourtant, de son vivant, Marie Anne Thérèse Ombline est surnommée « Seconde Providence ».
D’après la Société de plantation, histoire & mémoires de l’esclavage à la Réunion, ce pseudonyme lui a été donné après une attaque lancée sur Saint-Paul par les Anglais en 1809. La fortunée Madame Desbassayns aurait, selon la légende, sauvé la ville de la destruction. C’est dans cette ville de l’ouest de l’île qu’elle aurait par la suite créée la première école pour filles de la Réunion. Un joli projet, mais qui n’est en réalité destinée qu’aux enfants des familles « libres ». Cerise pieuse sur le gâteau de la prétendue bienfaitrice : Madame Desbassayns est responsable de la construction de la Chapelle Pointue (toujours à Saint-Paul) en 1841. Au cours de l’histoire et en s’appuyant sur ces faits, Madame Desbassayns a donc été dépeinte comme généreuse et engagée. Transmise par écrit, la légende est ainsi née… Mais qu’en est-il vraiment ?
Et maintenant ?
Le 20 décembre 1848, date officielle de l’abolition de l’esclavage sur l’île de la Réunion, le mythe de Madame Desbassayns héroïne réunionnaise a commencé à s’effriter. Face aux témoignages écrits des gros blancs de l’époque s’opposent peu à peu des témoignages oraux d’esclaves réunionnais, transmis de génération en génération. Ceux-là, sans surprise, dépeignent plutôt la bienfaitrice créole comme une tortionnaire d’esclave. Difficile de connaître le vrai visage de ce personnage ambivalent. Une chose est sûre, au fil du temps, les réunionnais ont créé leur propre légende. On dit qu’après sa mort, Madame Desbassayns a été réduite en esclavage par le diable lui-même. Sous les coups de fouets, elle alimenterait le feu du volcan.
Pour en savoir plus sur le destin de cette femme qui a marqué l’histoire de la Réunion, vous pouvez visiter le musée historique de Villèle, à Saint-Paul. Kapali Studios a même réalisé un film sur sa vie, disponible sur Youtube.
Sources : https://www.portail-esclavage-reunion.fr/ – https://www.musee-villele.re/ – http://www.vers-les-iles.fr/