Sur Réunionnaises Le Mag, nous aimons parler d’entrepreneuriat au féminin. Dans l’histoire de l’île, une femme incarne justement ce succès professionnel : Antoinette Orré. À une époque où les femmes ne prenaient pas les commandes d’entreprises, elle a su diriger l’empire que l’on connaît aujourd’hui comme l’un des leaders du marché local de la production de rhum. Retour sur l’histoire d’Antoinette Orré, l’illustre « veuve Isautier ».

Pas de doute, la marque Isautier est un pilier du patrimoine réunionnais. Avec plus de 175 ans d’histoire et un commerce élargi à l’international, elle allie tradition, innovation et engagement familial. Aujourd’hui encore, cette entreprise familiale fondée en 1845 continue de jouer un rôle central dans la production de rhum de l’île. Grâce à ses 2 millions de bouteilles de rhum produites chaque année, Isautier est l’un des leaders du marché local. Derrière cette machine ancestrale bien huilée ? Louis Isautier, le créateur. L’entreprise, basée à Saint-Pierre, au sud de La Réunion, est toujours dirigée par des membres de la famille fondatrice. Mais c’est un autre personnage marquant de l’histoire de la marque — et de l’histoire de l’île — dont je vais vous parler aujourd’hui : Antoinette Orré.

La veuve Isautier RLM
© Isautier

La marque doit une grande partie de son succès à la vision d’Antoinette, la femme de Jean Isautier, qui a su maintenir et développer l’entreprise après la mort de son mari. L’entrepreneuriat au féminin sur l’île de La Réunion ? Antoinette Orré n’a pas attendu pour en faire une réalité.

Une des plus anciennes rhumeries de La Réunion

Antoinette Orré est née le 28 juin 1821 dans une riche famille du Sud. De sa jeunesse, on sait peu de choses. L’événement qui va changer sa vie, c’est son mariage avec Louis Isautier, en 1811. Petit-neveu de l’apothicaire du roi Louis-Philippe Ier, un certain Laurent-Philippe installé à Saint-Pierre, Louis arrive sur l’île en 1832. Il a alors 23 ans et soif d’aventures. Avec son frère Charles, débarqué à La Réunion en 1834, ils se lancent dans l’élaboration d’une eau-de-vie de cannes à sucre, une plante présente en abondance sur l’île : le rhum agricole. On distingue le rhum agricole, réalisé à partir du jus de canne pur, du rhum industriel (ou traditionnel, ou de sucrerie) fait à base de mélasse, un liquide très sirupeux extrait du sucre du jus de la canne. Ce rhum est né bien loin de La Réunion, aux Caraïbes, au XVIIe siècle.

Mais revenons sur notre île où, les frères Isautier décident de s’allier avec les Orré, une puissante famille de propriétaires terriens de Saint Pierre.  Louis épouse Appolonie Orré, en 1835 et Charles se marie avec Antoinette, la cousine germaine d’Appolonie, en 1840. Les frères fondent, en 1845, l’entreprise familiale Isautier. Elle demeure aujourd’hui la plus ancienne entreprise de La Réunion encore en activité. Six générations d’Isautier se sont succédées à la tête de l’entreprise, mais au départ, il n’y avait que Louis, Charles… et Antoinette.

La dure vie des femmes dans les colonies

À la mort des deux frères, dans les années 1860, c’est Antoinette qui reprend les rênes de la distillerie. Entrepreneuse de talent, elle donnera à la marque Isautier sa dimension internationale. Illustre, Antoinette Orré l’est donc devenue grâce à son audace et son sens des affaires. N’oublions pas que la situation des femmes dans les colonies françaises au XVIIIe siècle n’avait rien d’enviable. Il était extrêmement rare, voire quasiment impossible, pour une femme de diriger une entreprise, même en dehors des colonies. Sur l’île, les métropolitaines et les riches créoles sont confinées dans des rôles domestiques. L’abolition de l’esclavage ayant été déclaré quelques années plus tôt, en 1848, les « négresses créoles » pauvres restent à la maison, exercent souvent des métiers pénibles, notamment dans les champs.

Pour couronner le tout, c’est le Code civil napoléonien qui est en vigueur dans les colonies à cette époque-là. Résultat : les femmes sont réduites à un statut de tutelle légale, c’est-à-dire qu’elles sont juridiquement subordonnées à leurs maris ou pères. Pas facile de diriger une entreprise quand on est interdite d’autonomie économique ! Qu’à cela ne tienne, Antoinette Orré a bel et bien pris en main le destin de la rhumerie Isautier. Il faut dire qu’elle a, semble-t-il, préparé le terrain.  En 1847, elle signe une séparation de bien avec son mari, ce qui lui permet de faire ses propres investissements. En 1863, elle fournit également à la Direction de l’Intérieur un cautionnement de 10 000 francs « dans le but d’être autorisée à distiller des rhums à Saint-Pierre », peut-on lire sur le site de la marque.

Antoinette Orrée, une veuve ambitieuse

Avec son sens redoutable des affaires et l’aide de ses trois fils, Antoinette fait ensuite entrer l’entreprise familiale dans une ère moderne, celle des rhums « Veuve Ch. Isautier et Fils ». En introduisant la notion d’image de marque, elle revendique par l’emballage (une bouteille de grès) la qualité de ses produits. Depuis 1870, les rhums Isautier accumulent les récompenses. Ils en ont reçu à ce jour plus de 150 à travers le monde !

Antoinette, qu’on appelle aussi « la veuve Isautier », fait partie de ces femmes qui ont marqué l’histoire de La Réunion. Pionnière et cheffe d’entreprise de talent, son travail à de quoi inspirer toutes les entrepreneures réunionnaises qui, rappelons-le, représentent  40 % des créateurs d’entreprise sur l’île !
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