Alerte coup de cœur ! D’abord séduite par sa couverture, j’ai été conquise par son contenu. Racines, la nouvelle BD de Lou Lubie, est un roman graphique à partager entre sœurs, entre mère et fille, entre ami(e)s… Avec finesse et justesse, l’autrice réunionnaise explore et interroge notre rapport collectif aux cheveux crépus et frisés.

Autrice et illustratrice originaire de La Réunion, Lou Lubie aime la narration sous toutes ses formes. Celle qui a débuté par le roman à dix-huit ans, laisse libre cours à son imagination à travers des BD impactantes. Le style de ses dessins varie selon la thématique abordée. Quand je l’interroge sur le pourquoi de cette variété de coups de crayon, elle déclare : « Il y a plein de choses différentes qui m’intéressent, je n’ai pas envie de me cantonner à un seul registre ».
Racines, une histoire de cheveux
Dans ses œuvres, Lou Lubie aime soulever des questions sociétales fortes, comme la santé mentale ou les discriminations, toujours avec justesse et pédagogie. Dans Racines, un de ses derniers romans graphiques, publié en 2024 aux Editions Delcourt, elle se penche sur les enjeux culturels et politiques liés aux cheveux crépus et frisés. À travers l’histoire de Rose, une jeune Réunionnaise complexée par sa chevelure, l’autrice met en lumière les injonctions et discriminations qui pèsent sur les cheveux texturés. Et quel poids !
Naïvement, au regard de leurs origines réunionnaises et d’une certaine ressemblance physique, j’ai cru que Lou était Rose, ou inversement. Mais l’autrice est catégorique : « les gens ont très envie que Racines soit autobiographique, mais ça n’est pas mon histoire, ça n’est pas ma vie ». Oui, Lou Lubie a les cheveux frisés et « a eu un rapport très compliqué » avec ses cheveux. C’est pour ça qu’elle a décidé de se pencher sur le sujet des discriminations capillaires. Elle m’explique avoir pris conscience du fait que tout le monde n’avait pas ce problème-là. « Je pensais que toutes les femmes se préoccupaient de leurs cheveux, qu’on dépensait toutes des fortunes (…) et en fait, j’ai réalisé que non ».
Racines, c’est donc l’histoire d’un parcours de vie tristement banal : celui d’une fille qui déteste ses cheveux crépus parce que la société n’a eu de cesse de les montrer du doigt. Mais avant tout, Lou Lubie voulait documenter son propos, pas seulement raconter une histoire. Dans son roman graphique, elle nous met face à une réalité brutale : en Occident, les cheveux lisses sont socialement mieux acceptés que les cheveux texturés.
Une BD entre récit de vie et documentaire
À ceux qui sont venus balayer cette réalité d’un revers de la main, l’autrice offre des informations sourcées, vulgarise des données scientifiques. « Le fait d’apporter des chiffres », m’explique-t-elle, « permet de dire que ça n’est pas juste un truc qui m’est arrivé à moi, ça n’est pas de la fiction, c’est un problème systémique dont il faut prendre conscience ».
Preuve que le sujet est loin d’être anecdotique, la question des discriminations capillaires a donné lieu à une loi en France. Adoptée massivement par l’Assemblée nationale le 29 mars 2024, elle interdit aux employeurs d’exiger que les cheveux de leurs employé(e)s soient lissés. Ils ont également interdiction de les obliger à couvrir leurs afros, dreadlocks ou tresses.
Pour comprendre l’existence d’une telle discrimination, il faut lire le roman graphique de Lou Lubie. En parallèle de l’histoire de Rose, l’autrice remonte aux origines de cette dichotomie, aux racines de l’injonction au défrisage : le colonialisme.
Vers l’acceptation (de soi)
Aujourd’hui, on voit de plus en plus de femmes porter leurs cheveux naturels. L’arrivée sur le marché de produits plus adaptés aux chevelures texturées les a sans doute aidées. « Ils étaient inexistants quand j’étais jeune », relate Lou, « aujourd’hui, il y a une vraie démocratisation ! »
Que tu rêves de rejoindre le mouvement nappy (natural hair movement) ou non, que tu aies des cheveux crépus ou non… Je t’invite grandement à te plonger dans Racines ! Aucun doute, cette BD passionnante est à mettre entre toutes les mains. Son autrice le dit elle-même, « Rien ne me fait plus plaisir que quand un homme chauve me dit : j’ai adoré ! Car le but de cette BD, c’est de tisser des ponts ». Et à ceux qui voudraient remplacer une injonction — celle de se lisser les cheveux à tout prix, par une autre — celle de garder ses cheveux naturels, Lou répond : « Chacun devrait faire ce qu’il veut avec ses cheveux. » Le genre d’invitation à l’émancipation qu’on adore, chez Réunionnaises Le Mag !
Racines a été récompensé par le 31ᵉ Prix France Info de la bande dessinée d’actualité et de reportage.