Juliette Dodu a joué un rôle important dans la guerre de 1870. Pourtant, c’est une héroïne de l’ombre. Réunionnaises Le Mag revient pour vous sur l’histoire de la première détentrice de la Légion d’honneur, célébré par certains et remis en question par d’autres.
L’histoire de Juliette Dodu, héroïne de l’ombre, prend racine au cœur de la guerre franco-allemande de 1870. Le 19 juillet de cette année-là, l’Empire français déclare la guerre au royaume de Prusse. Les troupes de Napoléon III, peu préparées, s’opposent à celle de Guillaume Iᵉʳ, plus nombreuses. Suite à ce conflit, que la France perd en six mois, l’Alsace-Lorraine passe aux mains de l’ennemi… Cette guerre marque la fin du Second Empire et le début de la IIIe République française. Une guerre oubliée pour une femme oubliée, dont certains remettent encore en doute les exploits.
De l’île de la Réunion au Loiret
Mais quel rôle a joué la Réunionnaise Juliette Dodu dans cet événement fondateur de l’Histoire de la France métropolitaine ? Lucie Juliette Dodu est née à Saint-Denis, le 15 juin 1848. Son père, Lucien Adolphe, est un officier de santé recruté comme chirurgien dans la marine militaire. Sa mère, Marie-Louise Françoise Augustine Desaifres était institutrice, elle exerça à Sainte-Marie et Saint-Paul de 1850 à 1855. Tous deux étaient originaires du département de l’Inde, en Métropole. Juliette n’a que deux ans lorsque son père meurt, terrassé par la fièvre jaune. Sa mère, remariée à un certain Louis Falte en 1851, aura deux autres enfants, Camille-Antoinette et Charles-Émile.
Bientôt, la famille recomposée quitte la Réunion pour la Métropole et décide de s’installer en Métropole, à Pithiviers (Centre Val de Loire). Augustine devient la receveuse des postes et des télégraphes de cette petite ville du sud de la Beauce. Quant à Juliette, elle travaille aux côtés de sa mère, comme auxiliaire. Certains racontent que l’inspecteur général du télégraphe se serait amouraché de Juliette. Ainsi, chaque fois qu’il passait par Pithiviers, il lui faisait la cour en lui apprenant les ficelles du métier… Notamment comment créer une dérivation.
Espionne en herbe
En 1870, la guerre éclate et dès le mois de septembre, les Prussiens envahissent Pithiviers. À partir de là, les versions divergent. Sur son site internet, l’office de tourisme du Grand Pithiverais relate la plus connue. En arrivant à Pithiviers, les Prussiens s’emparent du bureau du télégraphe. Tandis que les troupes s’installent au sous-sol, la famille Dodu se retranche au premier étage de leur maison. N’écoutant que son courage, Juliette Dodu aurait installé une dérivation dans sa chambre, grâce à laquelle elle intercepta tous les échanges des soldats Prusses.
Ainsi, pendant dix-sept jours, la jeune espionne en herbe communiqua tous les messages prussiens à l’armée française. Parmi ces secrets militaires volés à la barbe de l’ennemi, Juliette tombe sur la preuve d’une embuscade préparée les soldats de la première armée de la Loire. L’intervention de la jeune réunionnaise aurait permis de sauver la vie des 40 000 hommes commandés par le général Aurelles de Paladines. 40 000 vies sauvées qui font de Juliette Dodu une véritable héroïne de guerre !
La « légende Dodu »
En décembre 1870, vingt télégraphistes, dont Juliette, « sont récompensés par l’attribution de mentions honorables ». Cette récompense, elle ne célèbre pas sa décision de détourner les messages de l’armée prussienne, simplement son rôle dans une grande entreprise de surveillance. En effet, comme on l’apprend dans « Histoire Biographique de l’Enseignement » (1986) François Frédéric Steenackers, directeur général des télégraphes et des postes, aurait mis en place le 17 septembre 1870, des « postes télégraphiques d’observation ». Dans plusieurs bureaux de télégraphe, notamment celui de Pithiviers, les employés sont ainsi chargés de surveiller les mouvements de l’ennemi. Les informations récoltées sont ensuite transmises au gouvernement de défense nationale installé à Tours. Juliette Dodu est la seule femme à occuper ce rôle.
Selon les autrices Isabelle Havelange, Françoise Huguet et Bernadette Lebedeff, c’est cet événement qui serait à l’origine de la « légende Dodu ». L’histoire telle qu’elle a été retenue ? Elles accusent Juliette Dodu de l’avoir « enjolivée » et justifient son accréditation par un « manque d’information ». D’autre, comme Guy Breton, soulignent des incohérences. Certaines dates ne correspondent pas et de nombreuses questions restent sans réponse. Pour le journaliste et auteur, la « légende de Dodu » a été inventée par son protecteur Hippolyte de Villemessant, fondateur du Figaro et proche de Mac Mahon. La raison ? Le pays aurait eu besoin d’une figure héroïque à célébrer malgré la défaite.
Réunionnaise, héroïne et pionnière
Mais revenons à la première version de l’histoire, celle dans laquelle Juliette est bel et bien une héroïne de guerre. Après les dix-sept jours passés à espionner les soldats prusses, la jeune femme est démasquée, faite prisonnière puis condamnée à mort. Devant la cour martiale qui la condamne, elle aurait lancé : « Je suis Française et ma mère aussi, j’ai agi pour mon pays. Messieurs, faites de moi ce que vous voudrez ». Elle est sauvée in extremis par l’armistice, signé le 26 janvier 1871. Graciée par le Prince Frédéric-Charles de Prusse, la jeune espionne réunionnaise rentre en France. « À son retour au pays », explique l’Office de tourisme du Grand Pithiverais, « Juliette se voit attribuer sa première reconnaissance militaire. En effet, le 8 décembre 1870, on accorde une mention honorable à une vingtaine d’employés du télégraphe dont elle fait partie ».
Sept ans plus tard, cette mention se transforme en médaille militaire, une première pour une femme. Il faut dire que l’histoire de Juliette Dodu, l’espionne qui a sauvé 40 000 soldats, a été relatée dans le Figaro du 26 mai 1877 (pages 2 et 3). Dans le journal, on peut ainsi lire à son sujet « Parce qu’elle a obtenu la médaille au ruban jaune qui orne la poitrine des sergents à trois chevrons, n’allez pas vous imaginer que Dodu ressemble à une vivandière de la grande armée. C’est une grande et belle jeune femme de vingt-sept ans dont les fraîches couleurs doivent inspirer de la jalousie […] ».
La récompense suprême
Suite à cette parution, le président de la République Mac Mahon signe un décret dans lequel est écrit que Juliette Dodu a « intercepté des dépêches au péril de sa vie en 1870 ». L’année suivante, en 1878, honneur suprême : elle devient la première femme de l’histoire française à recevoir la Légion d’honneur à titre militaire.
Peu importe les détracteurs et les doutes donc, l’État français n’a pas manqué de célébrer cette femme au destin épique. À sa mort, en Suisse en 1909, la France a offert à Juliette Dodu des obsèques nationales. Elle repose depuis au cimetière du Père Lachaise, à Paris. Encore aujourd’hui, le site de l’office de tourisme du Grand Pithiverais évoque fièrement « l’héroïne de Pithiviers ». À la Réunion, dès le 6 octobre 1934, le premier Cours Supérieur des filles de la Réunion est créé, à Saint-Denis, par décret du Gouverneur Choteau. Baptisé « Cours Juliette Dodu », il est aujourd’hui un collège. Sur l’île, une rue et un hôtel ont également été nommés d’après elle.
Sources :
https://www.persee.fr/doc/inrp_0298-5632_1986_ant_11_1_6321
https://reunionweb.org/decouverte/personnages/juliette-dodu/
http://memoiredhistoire.canalblog.com/archives/2016/10/14/34440279.html
https://www.zinfos974.com/juliette-dodu-heroine-controversee/
https://etab.ac-reunion.fr/clg-juliette-dodu/histoire-du-college/